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Si les termes “objectifs de développement durable”, “enseignement transverse”, “éco-gestes” ou “démarche globale d’établissement” vous donnent envie de fuir, dites-vous que c’est normal : c’est votre cerveau qui réagit ainsi naturellement.
Découvrez pourquoi et comment surmonter cette réaction pour enseigner les 17 objectifs de développement durable avec enthousiasme.
"Le changement de pratiques pédagogiques d'un seul prof peut impacter la vie et la conscience de plusieurs centaines de jeunes", peut-on lire sur le site de la Fondation Mirova.
Chaque prof a conscience de son influence sur les jeunes qu’il rencontre en classe - c’est même un fondement du métier : faire impression, pour que l’élève ait à la fois des connaissances, des compétences et des savoirs-être.
Mais ici, le message porté est plus vaste encore, à la mesure des enjeux climatiques, et nous enjoint à la fois à une prise de conscience et à l’action. Non seulement à une action individuelle, citoyenne, mais à une action pédagogique d’enseignement des 17 objectifs de développement durable adoptés en 2015 par les 193 États membres des Nations Unies.
"Aïe ! Encore une injonction ! Je n'ai déjà pas le temps de finir le programme, je cours après les moyens, les élèves, et parfois même après l’envie de continuer tout cela… Comment pourrais-je faire plus ou moins, ou mieux ?"
"Les enseignants sont des acteurs clés de la transition écologique par leur rôle auprès de la jeunesse. Et ils en ont conscience", peut-on toujours lire sur le site de la Fondation Mirova.
Si on a bien conscience du rôle à jouer, beaucoup le ressentent comme une pression supplémentaire, une charge mentale indéniable, car dans la pratique, bon nombre de collègues ne se sentent ni suffisamment outillés, ni suffisamment formés.
Seul un prof sur deux se sent en maîtrise des connaissances (52%) ou des compétences (46%) liées à l'EDD, selon les résultats de notre enquête.
Ils et elles sont également en demande de formation :
Et si cette impression de flou, cette réticence innée que nous ressentons à l’évocation de l’enseignement du développement durable, était naturelle et justifiée ?
Le fonctionnement de notre cerveau a été conceptualisé principalement par Daniel Kahneman, en opérant une différenciation entre deux « systèmes » de pensée : le système 1 et le système 2 (source).
Le système 1 serait en quelque sorte une « machine à tirer des conclusions hâtives », tandis que le système 2 serait plus lent et plus fiable, permettant de corriger le système 1. Cependant, il existe de nombreux biais cognitifs, qui viennent fausser tant le fonctionnement du système 1 que le 2, et altérer sa fiabilité.
"Aïe, je ne peux donc pas me fier à ma propre réflexion et à mes connaissances ! Mais c’est pourtant ce sur quoi mon métier repose : apprendre aux élèves à se rapporter à leurs connaissances, à réfléchir, à trier les informations. Très bien, demain j’arrête d’apprendre aux élèves à réfléchir."
Les principaux apports de Daniel Kahneman consistent en la démonstration des biais existants, qui parasitent notre réflexion et notre prise de décision, de manière imperceptible parfois. Ces biais touchent à la fois le système 1 et le système 2 de réflexion, rendant particulièrement difficile parfois leur détection et leur correction, en particulier pour les spécialistes de la réflexion et de la pédagogie que sont les profs !
Une des difficultés de l’enseignement du développement durable semble ainsi liée à son caractère novateur, transverse et à un manque actuel d’informations précises. Dans les programmes, le développement durable apparaît souvent comme une thématique à aborder, mais laisse parfois une impression d’imprécision.
Voici une première entrave à l’enseignement du développement durable : nous utilisons un mode de raisonnement rapide basé sur notre mémoire et notre expérience, qui nous pousse à juger et raisonner en fonction de ce que nous percevons, connaissons déjà et ce dont nous avons fait l’expérience directe et proche.
« C’est donc mon propre cerveau qui m’arnaque ? C’est lui qui me pousse à ne pas enseigner le développement durable ? Ben tiens, la belle excuse, je la sortirai lundi en salle des profs celle-là ! »
C’est pourtant bien parce que l’enseignement du développement durable est une relative nouveauté, que nous avons du mal à l’enseigner. Et c’est normal : c’est le biais du statu quo, ou de la résistance au changement.
Nous avons naturellement tendance à préférer les pratiques existantes. Tout comme nous avons naturellement tendance à percevoir le changement comme étant très coûteux cognitivement.
Et si seulement ne s’ajoutaient pas à ces biais d’autres encore, bien plus pernicieux :
Ces différents biais ont été surnommés les dragons de l’inaction, un concept développé par Robert Gifford, pour identifier les freins à l’éco-engagement.
Une fois que nous avons pris conscience du fait que notre cerveau pouvait être un adversaire de l’action, nous pouvons nous rendre compte que l’enseignement au développement durable est à la portée de tous.
Chacun et chacune d’entre nous a déjà intégré dans un fonctionnement de niveau 1 de très nombreuses actions éco-citoyennes, qui sont devenues naturelles :
Le premier pas est déjà fait ! Vous enseignez déjà certains objectifs de développement durable ! Il n’y a plus qu’à faire un deuxième pas pour approfondir cela...
On conçoit que l’École joue un rôle clé dans la montée de la préoccupation environnementale chez les jeunes. On constate une forte montée parallèle de l’éco-anxiété, à la fois chez les élèves et chez leurs profs.
Tout d’abord, il ne faut pas confondre corrélation et causalité ! Bien que les profs soient potentiellement des acteurs clés de la transition écologique, ils ne doivent pas pour autant endosser la responsabilité de l’éco-anxiété. Cette dernière est nourrie par l’augmentation des événements climatiques extrêmes, par la communication plus ample et référencée, qui en est faite, et non par l’enseignement réalisé en classe.
C’est, bien au contraire, en se mettant en action et mettant en action les jeunes, que les profs participent à diminuer leur éco-anxiété.
Au-delà de la difficulté à distinguer corrélation et causalité, les biais à surmonter ici sont bien ceux de l’inaction collective, de la peur du jugement, et parfois même de l’inquiétude professionnelle, de la volonté « ne pas faire de politique », ne pas vouloir passer pour un activiste ou un militant auprès de la hiérarchie ou des parents d’élève.
Comment diminuer l’éco-anxiété des élèves ?
En premier lieu, en amenant les élèves à réfléchir aux actions qu’ils mènent déjà, d’un point de vue individuel ou collectif.
En accueillant la parole des élèves lorsque les inquiétudes émergent, afin de traduire en mots les émotions. Ceci permet une boucle de renforcement positif, point de départ d’autres actions, car il est plus facile de poursuivre une action que l’on a déjà amorcée que de créer une nouvelle habitude ex nihilo.
Ensuite, en participant ou en communicant sur des actions écologiques à rayonnement et implication locales. Ainsi, on « débiaise » activement, en luttant contre le biais de distance psychologique.
Par exemple, en participant à la construction et au développement d’un jardin, d’un potager, d’une aire terrestre éducative ou d’une aire marine éducative, on peut établir des liens entre les phénomènes climatiques globaux et leurs impacts sur notre région.
Il existe environ 250 biais cognitifs référencés : autant de pièges tendus par notre cerveau pour limiter notre dépense énergétique ! Un biais limitant fortement la mise en action est celui lié à la charge mentale. Il nous fait croire que toute nouvelle action, tout changement dans nos habitudes va forcément générer une surcharge de travail, et donc une augmentation de notre charge mentale…
Acquérir une nouvelle habitude n’est pas aussi facile qu’on le croyait. On a longtemps pensé qu’il suffisait de quelques semaines pour prendre une nouvelle habitude (ou mettre en mémoire des connaissances), mais les recherches ont montré qu’acquérir un nouveau comportement est beaucoup plus long que ce que l’on pensait, nécessitant parfois de longs mois de pratique avant d’être automatisé (source). Il est donc naturel que faire évoluer notre pratique pédagogique ou d’action nous paraisse difficile et que l’on retombe fréquemment dans nos habitudes.
Une bonne résolution serait donc d’intégrer ma pratique dans une routine quotidienne stable, de choisir moi-même mon action (ou de la faire choisir aux élèves), de me concentrer sur une seule action et de la répéter dans le même contexte. Si je commence par une action choisie, limitée, j’aurai une sensation de charge mentale plus limitée et une plus grande chance de réussite.
Afin de faire progressivement basculer mes nouveaux comportements du système 2 vers le système 1, voici d’autres vecteurs qui pourront aider à diminuer ma charge mentale :
"Moi, j’ai trouvé ! Moins de charge mentale et au top de la sobriété énergétique : je n’organise plus de voyage scolaire, que des sorties scolaires virtuelles en regardant des vidéos YouTube. J'ai en plus réduit drastiquement l’empreinte carbone de l’établissement !"
Noyé sous les injonctions, vous manquez de temps pour tout, et en particulier pour les projets transverses, que vous percevez comme particulièrement énergivores. Pourquoi ne pas tenter de voir les choses autrement ? C’est la technique des alternatives, qui permet d’éviter certains biais cognitifs : il s’agit d’essayer systématiquement de considérer les autres options, afin de pouvoir mieux évaluer les pertes et gains éventuels.
Si je dois mener un projet, pourquoi ne pas faire en sorte d’atteindre plusieurs objectifs à la fois, en joignant explicitement deux éducations transversales (par exemple, EDD et éducation à la santé), dans le cadre des actions à mener dans les quatre parcours éducatifs ?
Je peux également mener des activités qui contribuent au développement des compétences transversales (jeux de rôles, lecture critique d’articles de presse, débats argumentés, controverses), peut-être en coopération avec d’autres collègues ou avec des organismes extérieurs (acteurs du territoire, acteurs culturels), qui permettront à mes élèves une mise en situation concrète.
"Super ! Pour la promotion de la biodiversité, on a trouvé quoi faire dans le cadre du parcours citoyen ! Le plafond de la salle de classe s’effondre et le mur du couloir se lézarde ? Aucun problème! Avec l’aide de l’OFB, nous organisons un atelier de jardinage participatif et faisons pousser des plantes dans les fissures du mur, pour créer un jardin vertical."
Un biais cognitif dont souffrent particulièrement les profs est celui d’optimisme excessif, qui nous pousse à surestimer la valeur des éléments qui vont dans notre sens, et à sous-estimer les arguments adverses. En conséquence, nous avons tendance à croire que nous avons raison et que nous devons garder le contrôle.
Si ce sont nos élèves qui agissent dans le cadre de l’enseignement au développement durable, nous serons triplement gagnants, puisque nous aurons :
Pour permettre aux élèves d’entrer en action, dans un cadre sécurisant et guidé, deux axes parallèles qui peuvent être mis en place élire des éco-délégués, et jouer, en participant au niveau de l’établissement et des familles aux défis Ma Petite Planète.
"Voilà, et c’est comme ça que pour le carnaval, ils ont eu l’idée de prendre le thème des super héro écolos, et qu’on s’est retrouvés entre autres avec une Wondercompost, qui transforme tous les déchets en super-compost, et un Superenergyman, qui, de son regard laser éteint tous les appareils en veille… Il a éteint l’ordinateur de la comptable, en plein bilan annuel, avant la sauvegarde…"
Clara Carrincazeaux, professeure des écoles depuis 2019
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